[Storyline] Réunion après l'assaut

Iwëne n'était pas rentrée dans sa chambre pour se reposer, à l’inverse de nombreux élèves. Elle détestait cette salle, ou du moins, elle n'appréciait guère d'y être enfermée. Avec le temps, elle avait développé une sorte de claustrophobie -comme si chaque mur était susceptible de rapetisser la pièce jusqu'à l'étouffer de toutes ses forces. C'était donc en toute logique qu'elle passât ses quelques heures de repos, à l'extérieur. Après un petit tour dans le parc -son endroit favori de la Facultée, elle avait décidé de rendre une petite visite à Fraust. Prendre de ses nouvelles, voilà ce qu'elle voulait. Il s'était tellement épuisé au combat, que maintenant, la santé du jeune homme était devenue une priorité pour elle. C'était donc d'un pas assuré qu'Iwëne avançait en direction du lieu de prédilection habituel associé au recteur -la salle où, elle en était certaine, il se trouvait. En cours de chemin, elle entendit l'appel de Fraust résonner dans les enceintes disposées aux coins des murs.
Drôle de coïncidence tout de même : pile au moment où elle comptait lui rendre visite.
Après quoi, la jeune femme continua de traverser les couloirs, toujours de sa démarche royale et distante, tout en se demandant se qu'attendait le recteur en convoquant les profs, le personnel, Ashen et quelques élèves. Après mure réflexion, elle en vint à la conclusion que cette réunion avait un rapport évident avec leur retour (bien mérité) à la Faculté. De nouvelles mises en garde et un système de protection des élèves plus élevé, sans doute... Leur séjour à la G.C avait marqué le coeur des mutants, et il n'y avait plus qu'une chose à faire : empêcher de nouveaux kidnappings. Imaginez l’horreur pour récupérer les élèves séquestrés... Il y avait tout de même eut des morts dans les rangs du M.I.L ! Oui, plus jamais ça…
Arrivée à destination, la jeune professeur s'arrêta devant le seuil de la porte. Encore une fois, une drôle de sensation l'envahit. Il en avait été de même lors de son arrivée, lors du briefing avant l'assaut, et maintenant, pour le compte rendu de la mission. A chaque fois, ça la prenait au dépourvu... Une sorte de malaise intérieur, mais pas désagréable pour autant. Comme un sentiment de renouveau, d'inattendu. Un grand vide où elle plongeait tête la première.
Prenant son courage à deux mains, elle entra dans le bureau -la porte étant déjà grande ouverte. Dans la salle, il y avait déjà plusieurs personnes. Aussitôt, elle les reconnut : Twilight Taboï, son élève favoris, Fraust (qui ne le connaissait pas ?), Boris Zanov, un jeune pédagogue à qui elle n'avait pas encore eu l'occasion de parler (et elle s'apercevrait aussi qu'il était son voisin de chambre... ô joie !) ainsi qu'une jeune demoiselle, qu'elle n'avait que très peu croisé ces derniers temps... Angèle...
Cette petite était pour elle, une grande partie de son passé. En fait, se qu’elle appelait son « passé » se résumait à quelques personnes et quelques événements : Fraust, la découverte du mot « amour », Head et Angèle (pour les avoir si souvent vu aux côtés de son ancien fiancé, étant plus jeune), Ray, la mort de ce dernier, Melwin et son instinct à la protégé constamment… ainsi que deux ou trois autres êtres vivants de plus. Ni plus, ni moins. Le reste, elle l’avait oublié… et ne voulait plus en entendre parler. Jamais.
La jeune Eola était donc une personne qui avait marqué la vie d’Iwëne, de part leur relation à l’époque de l’ « enfance ». Bien que l'ayant assez peu connue, elle s'était rapidement sentie proche de cette mutante aux faits et gestes attendrissants. Son coeur était tellement saint et pur à cette petite... S'en était presque déstabilisant. Longtemps, Iwëne l'avait prit pour modèle et l’avait considéré comme l’idéalisme de la paix et du bonheur sur cette Terre -sans pour autant oublier de garder sa notoriété particulière, n’exagérons pas. Tant de bonté et d'amour se dégageaient de la mutante aux ailes de cupidons, tant de capacités à accepter les différences d’autrui, tant de choses pour lesquelles la jeune femme l'aurait remercié durant son existence entière. Grâce à elle et Fraust, ses journées à la GC étaient devenues beaucoup moins sombres, beaucoup moins lassantes et insupportables. Elle lui devait beaucoup, oui... Mais elle ne savait comment lui rendre ses élans de générosité. Et pour ça, Iwëne s'en voulait. Beaucoup…
Enfin, l'heure n'était pas aux souvenirs, mais bel et bien au présent. Pour l'instant, on attendait encore du monde -une réunion à six, c'était moyen.
Après un bref signe de tête à la petite assemblée, la jeune femme se posa à quelques centimètres du mur d'entrée. De cette position, elle pouvait jeter un coup d'oeil aux mutants déjà présents, et n'avait qu'à tourner la tête pour apercevoir les nouveaux arrivants.
Sa belle personne, bien que toujours impassible, était soucieuse. Qu'allait-on donc leur annoncer à cette réunion ?

Un silence, il y eut un léger silence... Pas un de ceux que l'on pourrait qualifier de "pesant", ni même de "gênant". Non, simplement quelques secondes sans bruit, comme un vide où les paroles se noyaient doucement. Les convives ne savaient que dire ; on attendait les autres, on attendait les directives de Fraust pour commencer la réunion.
Et puis, le silence fut brisé. Un jeune homme franchit le seuil de la salle, et tous les visages se tournèrent vers lui. C’était un combattant qui avait usé de son savoir et de sa force pour libérer les élèves, comme les autres mutants. Sauf que lui, il ne revenait pas gentiment à la Faculté. A l’instar du petit groupe, il « débarquait » dans un territoire inconnu. Et il n’y serait pas forcément bien accueillit…
Iwëne s'était posée un bon nombre de questions au sujet de ce garçon. Quelles sont ses intentions, ses raisons d’être ? Comment voit-il l’avenir, comment envisage-t-il son futur ? Et surtout : « Pourquoi ? ». Pourquoi les avait-il accompagnés, pourquoi les avait-il aidés, au risque d’y laisser sa propre vie ?
La jeune professeur avait plus de mal à élucider ses questions qu’à accepter Ashen parmi les leurs. Si seulement elle en savait plus à propos des mystérieuses ambitions du mutant, du « déclic » qui lui avait fait changer de camp, elle pourrait enfin se faire une opinion fixe du jeune homme mais aussi devenir plus tolérante à son égard.
Tout comme le reste du groupe ayant fait escale à la G.C, Iwëne avait cru comprendre qu’il y avait une relation entre la jolie Sae Mizuchi et Ashen.
Mais elle doutait sincèrement que le jeune homme était venu ici simplement pour les beaux yeux de sa belle. Il faudrait être vachement culotté (ou bien est-ce du courage ?) pour trahir les siens, se présenter comme étant le frère du recteur et changer de camp en l’espace de quelques heures, et ce, pour une petite amourette. L’amour a ses pouvoirs (et des grands) mais l’action d’Ashen ne devait pas être seulement basée sur ce sentiment. C’était beaucoup plus profond que ça… Et Iwëne n’arrivait pas encore à mettre le doigt dessus. Etait-ce l’envie de devenir quelqu’un de bien, de prouver qu’au fond de lui, il y avait un cœur en dessous de l’habituelle pierre ? Cette ambition de se racheter, d’éviter l’enfer après la mort. Le besoin de prouver que l’on n’est pas un monstre, qu’on avait choisi imprudemment le mal, et que maintenant, on se rend compte de ses erreurs…
Iwëne ne put s’empêcher de baisser les yeux à la vue du jeune homme. Elle aurait tant aimé, elle aussi, avoir une seconde chance. Pas pour la même chose, loin de là. Fraust allait offrir à son frère, le droit de se racheter, d’intégrer le presque « paradis » pour mutants qu’il avait créé. Mais elle doutait sincèrement que le recteur ne lui offre à nouveau l’amour des anciens jours… Ce détour à la G.C lui avait ouvert l’esprit et mis en gros plan certaines évidences : la vie avait continué pendant ces six années, ils avaient grandis, ils avaient changés. La demoiselle aux lunettes noires qu’avait dût combattre le jeune homme fut une pierre de plus qui s’était ajoutée au mur qu’avait construit le temps entre Iwëne et Fraust.
Et pourtant, malgré cette barrière qui les séparait, elle ne pouvait s’empêcher de frapper. De frapper contre la paroi. Et elle espérait que de l’autre côté, il l’entendrait.

Oui, Ashen avait beaucoup de chance… Il lui faudrait un peu de patience pour être totalement accepté des élèves et l’administration, certes, mais il réussirait tout de même. Iwëne en était persuadée…
Or, pour inaugurer son investiture, il fallait entamer le compte rendu. Fraust invita chacune des personnes présentes à s’asseoir autour de la grande table. La jeune femme prit place à côté de lui, le regard pointant toujours vers le sol.
Il commença son petit discours, et elle l’écoutait attentivement. Après quelques phrases, elle sentit qu’il l’observait. Avait-il remarqué son attitude légèrement distraite et maussade ? Elle releva la tête et soupira intérieurement : non, il lui tendait simplement la carafe d’eau. Iwëne ne savait pas si elle devait s’en réjouir, qu’il n’ait rien remarqué.
Enfin, elle versa un peu du liquide dans son verre et offrit le récipient à qui le voulait. Limpide, l’eau était tellement transparente sous sa surface lisse. Iwëne aurait aimé pouvoir devenir comme elle l’espace d’un instant : sans soucis ni défauts, sans questions ni remords. Tranquille, parfaitement tranquille…
La conversation reprenait à nouveau. Le recteur abordait des sujets tels que la mort, la mission achevée, la sécurité. Et d’une G.C détruite, aussi.
A ces mots, Iwëne reçut comme un grand coup de poignard dans la poitrine. Jamais elle n’aurait cru que la destruction d’un bâtiment qu’elle détestait aurait été pour elle un tel choc émotionnel. Elle avait toujours désiré voir tomber cette affreuse conspiration qui réunissait des personnes abominables. Et pourtant, elle avait mal au cœur en entendant à nouveau ce qu’elle savait déjà. Petit à petit, son passé s’effritait, s’effaçait. Que ce soit les bons ou les mauvais souvenirs, ils s’échappaient un peu plus à chaque instant. Et elle souffrait, de disparaître avec eux…
Quand Twilight prit la parole, ce fut comme une issue de secours à l’enfer intérieur qu’elle endurait en ce moment. Sans plus attendre, elle attrapa la main spirituelle qu’il lui tendait inconsciemment et releva le visage pour regarder son subordonné, son jeune élève.
Tentant de s’intéresser à ce qu’il disait, elle réfléchit à la question qu’il posait. Après un temps de silence, elle prit la parole.
-Notre escapade à la Genetic Cooporation nous a servit de leçon. A l’avenir, la protection des élèves sera renforcée, il y aura sûrement une mobilisation des professeurs pour éviter que des kidnappings ne se reproduisent. Mais, comme l’a dit Twilight, les « mutants confirmés », si je puis dire, se font de moins en moins présents, et nous ne pouvons répondre entièrement à notre devoir qui est « enseigner et protéger ».
La demoiselle aux cheveux d’argent se redressa légèrement avant de continuer.
-A part une mise en place d’élèves qualifiés qui seraient prêt à combattre en cas d’invasion –et je suis totalement contre cette idée qui va à l’encontre des principes de la Faculté, je ne vois pas vraiment ce que nous pourrions faire pour renforcer la sécurité. Certain d’entre vous ont des idées à ce sujet ? Fraust ?
Elle tourna un instant la tête vers le recteur, comme pour lui signifier qu’il pouvait aborder le second point de la réunion. Puis, elle se replongea dans la contemplation du verre d’eau, le visage toujours aussi impassible, l’esprit toujours aussi vagabond.

Depuis le début, on parlait, on proposait des solutions. Devant toutes ces personnes si hardiment engagées dans la conversation, Iwëne demeurait silencieuse, à l'exacte d'une tombe. Après s'être quelque peu manifestée, donnant son opinion sur le sujet, elle s'était tue et n'avait fait qu’observer le débat.
Parmi les élèves et professeurs, deux grands partis s'étaient formés. D'un côté, il y avait ceux qui approuvaient le nouveau rôle des élèves : celui de soldats. De l'autre, on avait les « lucides » qui continuaient de penser la formule suivante : Adultes professeurs = Protecteurs. Pour eux, il était hors de question que les jeunes soient mêlés à l’affaire. En cas d’assaut de la G.C, ils iraient se réfugier dans les sous-sols de la Faculté.
A dire vrai, Iwëne était partagée et se demandait quoi choisir. Instinctivement, elle avait un penchant pour le second partis, mais ne trouvait pas pour autant un moyen efficace de protéger leurs arrières, à eux, les professeurs.
Lorsque Virginia apparût par illusion, la jeune professeur eut un saut de cœur. Elle avait beau être au courant des entrées extravagantes de sa collègue, elle n’arrivait toujours pas à s’y habituer. Chanie parla et proposa un troisième échappatoire à ce dilemme. Pour Iwëne, c’était clair : La vieille aux rituels vaudou venait de trouver LA solution. Blanchir la réputation de la Faculté, c’était une excellente idée. Mais, en même temps, elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter à propos des élèves. Quand bien même leur chère bâtisse et ses pensionnaires seraient vus différemment par la société, cela n’arrêterait pas la G.C pour autant. On n’était jamais à l’abri de nouveaux kidnappings...
Par la suite, ce fut Twilight qui démontra ses talents d’orateur. La jeune femme l'écoutait sans broncher, le fixant avec force, de ses beaux yeux curieux. Ce petit ne cesserait jamais de l'étonner. Il avait beau faire preuve d’un comportement des plus exaspérant à son égard, elle ne pouvait le considérer comme sa « fierté ». En très peu de temps, il avait fait des efforts remarquables. Ce n’était pas seulement grâce à elle, Iwëne le savait bien. Et c’était peut-être justement pour ça qu’elle avait aussi foi en ce petit bonhomme.
A l’heure actuelle, Taboï était toujours en phase d'apprentissage, certes, mais il possédait déjà la ténacité que certains mutants n’obtenaient qu’après de longues années d’entraînement. Twilight irait loin, elle le savait.
Tout en parlant, le jeune garçon offrit aux membres du conseil un petit aperçut de ses progrès quant à l’utilisation de son don. Avec une parfaite discrétion, il alla même jusqu’à remercier sa professeur. Dans son petit cœur de mutante, Iwëne eut comme un élan de bonheur. C’était étrange de ressentir ça, alors qu’elle avait oublié depuis longtemps ce qu’était ce sentiment si particulier... D’un léger hochement de tête, suivit d’un regard qui en disait long, elle avoua au jeune Twilight qu’il n’y avait pas plus beau cadeau que de voir progresser un jeune garçon en qui on plaçait beaucoup d’espoir.
Un peu plus et elle aurait affiché un ravissant sourire satisfait. Mais avant qu’elle n’en ait eu le temps, une vision d’effroi lui traversa l’esprit.
Elle les imagina, eux tous, ces élèves qu’elle aimait profondément, en train de se battre pour défendre leur vie et celle de leurs camarades. Parmi la foule de jeune gens, elle arrivait à distinguer Twilight, accompagné d’Angèle. Ils utilisaient tout deux leur pouvoir avec une telle ingéniosité et une telle énergie ! S’en était réellement bouleversant. Et puis, comme pour clore cette « prémonition », les deux élèves tombaient à terre, du sang autour de leur petit corps d’adolescents.
Cette pensée à déchirer le coeur eut pour effet de lui remettre les pensées bien au clair. Non, jamais plus elle ne laisserait des élèves se battrent contre les membres de la G.C. Quand bien même tous les professeurs réunis se seraient mis en accord pour créer la fameuse « élite » d’élèves, elle, resterait sur sa position.
-Virginia a raison. La meilleure solution serait de nous approprier une bonne image, nous faire discret. Pour le moment…
Elle se tût un instant, comme perdue dans ses pensées, puis fixa tour à tour les têtes de l’assemblée, pour bien mettre ses mots en valeur :
-En ce qui concerne le groupe d’élèves « soldats », si je puis dire : je suis contre. Ma décision est prise, je m’opposerais à cette idée, quoi que cela m’en coûte. Si nous devons nous militariser, ce que Chani ne semble pas approuver, ça ne concerna que les professeurs. Même si nous formons plus rapidement les élèves au combat, en prenant des assistants qui assurent quelques cours, comme vous l’avez proposez, j’empêcherais toutefois ces jeunes gens de s’aventurer dans le domaine du sang et des armes. Selon moi, c’était déjà une grande erreur d’emmener des élèves pour la mission de sauvetage. En faisant cela, beaucoup d’entre eux on courut un risque immense. Notre devoir n’est pas d’envoyer ces jeunes gens à la guerre, mais au contraire, de les protéger. La Faculté, « un havre de paix ». Jeff Hartigan est mort à cause de notre stupide décision, rappelez-vous !
Après un bref silence où elle tenta de calmer la colère qui montait en elle, Iwëne reprit :
-Ce que je vais dire rejoint un peu toutes les idées citées précédemment. Il serait bon d’aller explorer les sous-sols de la Faculté et déterminer s’ils sont utilisables en cas d’invasions. Par la suite, nous devrons mettre au point un exercice d’évacuation afin que chaque mutant sache comment agir si nous sommes victimes d’un nouvel assaut. La G.G est peut-être affaiblie, mais elle ne reviendra qu’avec plus de détermination.
A ce moment précis, Iwëne posa son regard sur le dénommé Ashen. C’était limite elle le foudroyait de messages visuels qui disaient : « collabores ! »
-Je pense que Ashen serait la personne la plus apte à perfectionner l’équipe des professeurs afin de créer une sécurité avantageuse, puisque lui-même connaît les points faibles de l’ennemi. Il nous faudrait un plan défensif que nous emploierons si besoin est. Pour l’instant, la meilleure solution est de préparer l’exercice d’évacuation, et en dehors de la Faculté, d’entretenir notre image jusqu’à atteindre l’irréprochabilité. Peut-être qu’un discours de Fraust auprès du gouvernement, de l’ONU ou je ne sais quoi encore, serait une idée avantageuse pour que ces derniers se fassent une nouvelle opinion de notre « troupe de mutants ». Par ailleurs, monsieur Zanov enverrait ses collègues mener leur enquête et nous tenir au courant des plans de la Genetics Corporation, tandis qu’Ashen, Chani, Malia et moi-même mettront au point le plan d’évacuation. Des objections à ce propos ?
Au moins, même si elle ne faisait qu’un compte rendu de ce qui avait été proposé –en parti-, Iwëne avait clairement cité ce qu’elle acceptait et refusait comme condition. Le reste du conseil devait maintenant donner ou non leur approbation.

Après les moult échanges d'opinions, tous aussi différents les uns que les autres, ainsi que les nombreux retardataires qui s'excusaient au fur et à mesure qu’ils arrivaient, il fut convenu d'arrêter la réunion et d'en rester au points suivants : Ashen et Malia iraient visiter les sous-sols tandis que les autres professeurs et élèves s'attarderaient à diverses occupations. Tout le monde avait droit à sa part de boulot, plus ou moins importante. Concernant Iwëne, elle ne broncha pas en entendant les directives qui lui étaient assénées. Veiller sur la Faculté pendant l'absence de Fraust ? Elle ne voyait rien de complexe dans ce qu'on lui demandait. Depuis son arrivée sur l'île, et plus précisément, depuis qu'elle avait franchit pour la première fois la porte de ce bureau, elle avait fait part au recteur de sa folle envie de l'aider dans ce qu'il entreprenait. Cela variait selon les sujets : d'un aspect général, elle voulait contribuer à l'aboutissement de ce havre de paix tant promis aux étudiants qui apprenaient chaque jour un peu mieux à utiliser leur don ; et, comme aujourd'hui, elle acceptait avec joie d’être à la tête des commandes pour quelques jours. Bien entendu, aucun sourire ravie ou satisfait ne se dessina sur sa divine bouche ; Iwëne n'adressa pas un regard aux membres de l'assemblée et ne songea non plus à les dévisager froidement pour leur faire ravaler la bave de crapauds que certain aurait souhaité cracher. Que ça leur plaise ou non, c'était le même prix.
Non, elle se contenta simplement d'hocher doucement la tête, le regard perdu dans sa contemplation du verre d'eau en face d’elle.
Ce n'est que lorsque Fraust lui indiqua qu'elle devrait réfléchir à une proposition qu'il allait lui faire à la fin de la réunion, qu'elle daigna relever la tête. Ses beaux yeux noisette tintés de gris posèrent avec délicatesse, toute leur attention sur le bel homme. A ce moment, elle commençait à s'interroger et n'attendait qu'une chose : que tout le monde déguerpisse pour pouvoir débattre de la fameuse proposition. Mais pour l'heure, elle s'ordonnait d'être patiente et silencieuse.
Enfin, pour clore ce chapitre ennuyant à souhait, mais –hélas- indispensable pour la survit des élèves, le recteur fit part à l'assemblée qu'il avait reçut une récente lettre tout droit envoyée des Nations Unis. Intéressant, c'était le cas de le dire. Ainsi, il se rendait à une sorte de conférence ? Iwëne espérait fortement que ses atouts de beau parleur et son influence au sein de la communauté « mutante » allaient être payant, malgré le tas d'insectes qu'il allait rencontré et qui tenteraient de le descendre par viles façons. Fraust était fort et déterminé, elle le savait. S'il y avait un sujet à débattre lors de la future conférence mentionnée sur le carton d'invitation, elle souhaitait de tout coeur que la Faculté aurait le dernier mot dans cette huée d'humains mentalement tordus (des crapules, en bref). Même s'il n'y avait pas de quoi s'inquiéter, la jeune femme avait comme un mauvais pressentiment. S'efforçant de rebrousser ses idées noires qui surgissaient à grands flots, elle se concentra de nouveau sur son verre d'eau jusqu'à ce qu'on lui tende la fameuse lettre. Un rapide coup d'oeil et elle fit passer le document à sa droite.
C'est ainsi que se termina la réunion. Iwëne, toujours aussi passionnée par son verre et qui n'entendait plus ce qui se passait ou se disait autour d’elle, et puis, les autres mutants qui quittaient la salle après avoir sans doute adressé une dernière parole. Toutes sans importances à ses oreilles, excepté le son enjoué de la voix d’Angèle qui fut la seule réplique à laquelle elle porta un peu d’attention. Pour une fois, la jeune professeur s’accorda le droit d’afficher un léger sourire amusé.
Le silence était maintenant complet dans le bureau ; il ne restait plus que Fraust et Iwëne. La jeune femme ne dit rien pendant quelques minutes, appréciant avec délice, le calme qui les entourait. Puis, elle décroisa les jambes et se releva de sa chaise. Avec une grâce presque féline, elle prit dans sa main le verre d’eau qui lui avait servit d’obsession pendant la réunion et le leva en hauteur, bien en évidence à la lumière environnante. D’un ton faiblement enjoué et où perçait toutefois une pointe de remords, elle déclara :
-Tu te souviens, Fraust ? Lorsque je suis arrivée, j’ai cassé un verre d’eau semblable à celui-ci… Le temps passe et pourtant, j’ai l’impression qu’on en revient toujours au point de départ, quoi qu’il arrive. Drôle de situation, je trouve…
Peut-être y avait-il un sens caché dans ses paroles, peut-être n’y en avait-il pas. Toujours est-il qu’Iwëne était impressionnante lorsqu’elle parlait. Quoi qu’elle dise, d’ailleurs.
Faignant une moue quelque peu tristounette, presque dissimulée sous son impassibilité habituelle, elle se retourna vers l’homme pour qui elle donnerait sa vie, jusqu’à la moindre parcelle de son existence.
-Alors, de quoi voulais-tu me parler ?