[Storyline] Passage de main

Depuis son arrivée sur cette île, Brendan se sentait assez partagé, entre un sentiment d'euphorie et un autre de doute. Il se rappelait très bien dans quelles circonstances il avait été contacté, et ce que le conseil d'administration de l'Arobase lui avait demandé ce jour là.
Seulement voila, il venait de visiter le complexe, l'école militaire internationale, les laboratoires, et depuis, il trouvait qu'il y avait quelque chose qui clochait. Tout était parfaitement en état de marche, bref, cette entreprise aurait dû être numéro 1 avec de telles installations, et pourtant... Et pourtant c'était maintenant sous la menace du dépôt de bilan que se trouvait cette société.

Ceci dit, même si Brendan doutait, il avait quand même de la bouteille. Il savait mieux que personne que rien n'est définitivement perdu d'avance, et qu'il y a toujours des solutions. Ceci dit, cela l'étonnait quand même que le PDG de cette Arobase n'ait pas réussi à faire prospérer l'entreprise, malgré ses capacités de production.

Toc, toc...

Walsh frappa à la porte du directeur, justement. On leur avait demandé de se rencontrer, pour la forme, mais en vérité cet entretien déboutait Brendan avant même qu'il n'ait commencé. Il y avait tant de choses à faire, plutôt que de devoir perdre du temps pour un rendez-vous pareil... Enfin, une fois installé dans ce fauteuil là, Walsh enverrait valser toutes ces bêtises procédurières digne d'un nigaud bureaucrate; ça ne sauverait rien, mais ça serait toujours ça de gagné.

Douze mois.
Douze mois que tout allait de mal en pis et que tout le monde se barrait dans cette entreprise.
On avait beau être au top, rien ne changeait. Les scientifiques prenaient le large sans qu'on sache trop pourquoi.
Bref.
La dernière réunion du conseil d'administration avait étée très tendue. Beaucoup reprochait à Lorrington de mal gérer son entreprise, à peu près comme d'être un mauvais pilote de Formule 1. Il faut avouer que Lorrington l'a mal pris.
Bref.
De tous les scientifiques qui restaient, il n'y avaient plus beaucoup des grands du départ. Bon dieu, qu'est ce qui pouvait les avoir fait fuir ainsi ? C'est quand même pas moi, bordel ?

Ce matin-là, Scott était dans son bureau, à constater qu'encore une fois, il manquait de monde et que beaucoup déclinaient ses offres. A n'y rien comprendre. C'est vrai, y'a de quoi se pendre. Il n'y a rien de pire pour quelqu'un comme Lorrington qui a bati Kazun de ses mains de voir qu'il n'y a rien qui marche comme il le voudrait. C'est d'un navrant, d'un exaspérant... Mais hélas l'unique vérité que Scott ne veut pas voir. Si ca contiue comme ca, le conseil d'administration va vouloir le virer et chercher un nouveau directeur, qu'ils jugeront plus apte. Et Scott ne veut pas voir ca. C'est im-pos-si-ble. Pas Kazun. Pas ça.



-Entrez, c'est ouvert.

Bon. Qui vient me dire au revoir, cette fois ?

Il entra, bien sûr. L'actuel directeur exécutif était là, naturellement puisque c'était son bureau, pour quelques heures encore tout du moins. Dépité? Il en avait tout l'air. Sans doute que le C.A. de la boîte lui avait déjà expliqué ce qui allait se passer.

Tout naturellement, parce qu'il ne pouvait pas tout de suite entrer en empathie avec la personne rencontrée, Brendan sourit après avoir fermé la porte, puis il tendit sa main par dessus le bureau:

"Monsieur Lorrington, je présume? Brendan Walsh, je suis la sorte de messie que le conseil d'administration a désigné pour prendre en charge la direction commerciale et managériale de l'Arobase."

D'entrée de jeu, le nouveau cadre de la société mettait les choses au clair. Il n'était pas là par volonté de ruiner ce que Lorrington avait construit jusqu'alors, mais bien parce que le C.A. de ce même Lorrington l'avait engagé. Ça, c'est les faits. Après tout, Walsh connaissait son domaine et ses capacités, de même que les interlocuteurs qu'il avait eu. Et s'il avait décidé de venir, ce n'était ni pour se la couler douce dans un bureau, tous frais payés, ni pour s'apitoyer sur son prédécesseur.

Brendan finit donc par s'asseoir en face du D.E. de la boîte, et commença à sortir quelques papiers de sa serviette. Dont un calepin et un stylo. Allez, pour 5 minutes il jouerait les psy' en même temps que les détectives.

"L'Arobase prends l'eau, semble-t'il; la raison de ma présence ici. J'ai étudié le dossier dans l'avion, mais j'aimerai vous poser deux trois questions, pour approfondir mon évaluation de la situation. Un: Comment expliquez vous, vous-même, l'enlisement de la société que vous dirigez? Deux: Quels sont les problèmes récurrents que vous avez rencontré dans l'exercice de vos fonctions, sur tous les plans? Trois: Etes-vous en mesure de me fournir l'ensemble des documents suivants: fichier clients complet, analyse budgétaire, cahier des charges, compte-rendu des réunions managériales, documents de protocoles de la mise en rayon de vos "produits"... Et tout ce qui va avec, ça va de soi."

Une des formules préférées de Brendan, en affaires, c'était "Il faut planter". Il avait gardé cette locution de l'époque où il avait débuté dans le métier. Et bien dans le cas présent, et de façon métaphorique, si il avait eu une tente, et bien pour sûr qu'elle était bien plantée, maintenant.

Connard.

Non pas que Scott eut aimé être impoli, mais voilà à peu de choses près ce qu'il pensait. Non pas qu'il n'aimait pas ce Brendan Walsh, son air hautain et sa gueule d'ange, mais la raison de sa présence le rendait un peu... énervé. On le comprend, non ?

ET EN PLUS, IL VEUT DES COMPTES ?

%&$@£#§ !

-Ahem.

Prends ton souffle, Scott. L'heure du jugement dernier a sonné. C'est pas Saint Pierre, mais il est là pour te juger, Scottie. Bref. Scott inspira longuement, mit ses mains à plat sur son bureau et invita Walsh à ouvrir grand ses oreilles.

-Si je savais pourquoi mon bateau prend l'eau, est ce que je n'aurais pas essayé de colmater la brèche ? Non. Je n'ai pas trouvé la fuite.

Le plus dur est passé. Avouer qu'on est nul. Le reste, c'est de l'administratif.

-J'ai énormément de mal à garder mes scientifiques. Leur niveau de vie et de recherche est exceptionnel, mais tous partent. Pour le dernier point, la plupart sont au service administratif. Mais il ne doit pas y avoir de problème.

Souffle, bonhomme. Ca ne fait que commencer.

-A moi. Qu'êtes vous venu chercher ? Êtes-vous venu pour prendre ma place, ou bien pour diriger l'Arobase ?

[Scuse le vocable]

Les chercheurs... Voila le premier problème que Brendan résoudrait, une fois assis en tant que D.E. de la boîte. Il avait lu les rapports, et il était évident que les scientifiques étaient en surnombre. Réduire leurs effectifs de minimum 50% serait un bon début, en plus ça économiserait des dépenses inutiles, toujours ça de pris. Comme on dit souvent en école de commerce, il n'y a pas de faible marge dégagée. Walsh se le nota sur son carnet.

"Vous connaissez déjà la réponse, monsieur Lorrington."

nota Walsh, sans daigner lever les yeux vers son interlocuteur. Le sort de ce petit bonhomme pas très habile en gérance d'entreprise avait déjà été tracé, par son cher C.A. auquel il ne manquerait sûrement pas de penser quand il ferait ses valises pour l'échelon en dessous. Ah, la dure lois des promotions, et des rétrogradation, ça va de pair... Personne n'y échappe, quand ça vous tombe dessus.

"Comme je vous l'ai dit... Le conseil d'administration m'a embauché en tant que consultant à temps plein. Comme vous dites, votre bateau coule, et je suis en quelque sorte, et sans prétention aucune, son hypothétique sauveur. Quant à vous, il paraît qu'un poste de direction exécutive vous attend à l'EMIC. Vous y serez j'en suis sûr, plus à votre aise que dans ce bureau, à manipuler maladroitement des chiffres... Sans vouloir vous offenser, monsieur, si ceci ne vous plaît pas, je crains qu'il ne faille vous adresser au C.A..."

Bon, Brendan lui n'avait pas de temps à perdre ici. Il espérât que ledit Lorrington allait se dépêcher de remballer ses cliques et ses claques, et lever le camp, histoire que lui-même puisse s'installer et faire se pour quoi il avait été embauché...

Bon. Tout est dit, non ? Scott n'est pas à sa place dans un bureau de directeur. Son truc, c'est visiblement d'être un fidèle bras droit dans le secret de tout et de conseiller, pas de diriger. Il n'a jamais été très fort à ça. C'est dommage de finir comme ça...

-Bien. Je ne suis en effet pas un commercial. C'est logique, que je ne sois pas à ma place ici.

Scott se leva, et invita Brendan à en faire de même.

-Je... J'ai aidé à créer l'entreprise. Son fondateur, c'était un peu mon grand-père spirituel. Ne la laissez pas couler.

Ouvrant la porte en grand, et prenant son manteau de cuir brun, il montra la sortie à Walsh.

-Je suppose que c'est mieux ainsi. Maintenant, je pense qu'un "tour du propriétaire" s'impose. Je suppose que vous n'avez pas eu le temps de visiter totalement l'Arobase, si ?

Ouaip. On passe la main. T'es pas un commercial, tu dégages. Au moins, il t'ont laissé l'EmiK. Le petit plus que tu ajouté toi-même. Pas Hirogawa ou ton père, toi. Mais bon, c'est normal. T'es pas un commercial. T'es à peine un scienteux. Ton truc c'est l'action.

Walsh emboîta le pas à Lorrington en rangeant son carnet et son stylo dans sa poche. Le directeur avait l'air d'avoir accepté sons sort finalement. Mais il n'était pas question de se laisser aller à la déprime!

"Allons, monsieur Lorrington, ne vous laissez pas abattre par ce chambardement! Vous me paraissez être un homme d'action plus qu'un technocrate, et vous serez certainement comme un poisson dans l'eau à la tête de l'EMIK! D'ailleurs, nous risquons de travailler ensemble en ce qui concerne vos chères progénitures... J'ai ouï dire au C.A. qu'ils avaient l'intention d'orienter le groupe Arobase vers un clonage davantage "appliqué militaire", si vous voyez ce que je veux dire... Et puis, les clones déjà formés sont une excellente main d'œuvre, gratuite de surcroît, pour le genre d'opérations visant à élargir la gamme en matière de récolte de pouvoirs mutants."

Brendan ne pensait pas trahir un secret, tout au plus il dévoilait en avant-première le projet des administrateurs. A savoir, relancer la machine en coulisse en montant une force d'intervention à partir des clones des dernières séries, force dont l'essence serait de récolter les précieux échantillons d'ADN. Ce projet s'annonçait réellement captivant, et une belle source de profits se profilait à l'horizon.

"Si vous voulez en savoir plus... Il se dit que les clones vont se voir enlever leurs numéros de série, et que l'on va chercher à améliorer leur identité personnelle, de manière à les orienter vers un "travail" adapté à leurs capacités. J'ai entendu dire que certains étaient de vrais phénomènes, certainement que ceux-là même vont se démarquer rapidement du lot et devenir des charnières de ce groupe d'opération. Encourager l'identité individuelle pour faire des pros dans leur domaine, c'est sacrément culotté, mais il faut avouer que ça pourrait marcher..."

Walsh se mit alors à sourire. Oui, ici c'était le début de quelque chose de grandiose, d'après son flair des bonnes affaires. Certes, la création du groupe mettrait d'une certaine manière l'Arobase dans l'illégalité, mais avec quelques législateurs en poche, ça passerait comme une lettre à la poste. Et bientôt, les clones made in @ inonderait le monde, habilités, comme de parfaits humains; à ceci près qu'ils seront les loups déguisés en moutons, dans la bergerie, et ils seront au plus près des nouveaux mutants pour leur subtiliser leur essence... Tout un programme, qui s'annonçait bien jouissif. Dès les premières semaines du projet écoulées, il y aurait un retour sur investissement qui se chiffrerait en dizaines de milliers de dollars, peut-être même en centaines... Magnifique.