[Le minutage permet de lire le post en ayant la musique bien calée aux passages écrits.]II - L'Enfer
XXX
(0’00)
Le temps s’écoulait… Cela faisait peut-être un jour, peut-être deux ou plus encore, dieu seul savait. Fraust avait totalement perdu la notion du temps.
Le Mutant n’avait pas dormi une seule minute depuis son arrivée. Il n’avait pas avalé le moindre gramme de nourriture qu’on lui avait apporté, les gardiens retrouvant toujours le plateau-repas comme neuf devant la porte, à l’endroit où ils l’avaient posé. L’homme semblait même ne pas avoir bougé depuis qu’il était dans sa posture, replié sur lui-même. D’une certaine façon, on ne le reconnaissait pas dans cette attitude de passivité extrême. Où était Fraust, celui qui se rebelle, qui lutte pour la liberté et pour ses idéaux ? Ce Fraust là était-il resté à la Faculté, pour être remplacé par un corps sans la moindre étincelle de sa vie ? La question pouvait effectivement se poser.
Devant l’état de totale inactivité de sa part, un médecin et un infirmier de la firme vinrent l’ausculter dans sa cellule même. Aucune réaction, ou presque. Seules ses pupilles voulurent bien indiquer que ce corps vivait, malgré les apparences. Semblable à un crustacé quelconque, le Mutant électrique avait fermé sa coquille, même si l’être l’occupant continuait à vivre à l’intérieur.
Le docteur posa des questions qui se heurtèrent au mur de silence qui semblait envelopper le recteur, peut-être aussi le protéger de ce monde inhospitalier, de cette espèce de jungle médicale que représentait la Genetics Corporation et tout cet environnement si hostile, si douloureux dans les souvenirs qu’en avait gardé Fraust. Une douleur pas aussi grande que celle qu’éprouvait son âme même, en ces sombres instants, resserrée dans un étau invisible qu’on appelle aussi Désespoir.
XXX
(0’52)
En arpentant les couloirs, plus loin, là où la lumière filtrait peut-être davantage, où l’air était peut-être un peu moins froid… Il y avait la cellule d’Ashen. Pour lui, on avait repeint les murs de la cellule avec une peinture à base de mercure, de manière à lui éviter l’envie d’aller se promener dans les couloirs, chose qu’il n’aurait pas manqué de faire à son réveil.
Encore cloué sur son lit, une perche à perfusion gouttant à intervalles régulier alimentait son corps d’anti-douleurs, de somnifères et de nutriments.
Sur le lit, dépourvu de confort superflu, dormait le jeune rebelle. Semblable à une belle au bois dormant du 21ème siècle, on aurait dît que rien ne pouvait perturber cet être, dont le visage affichait un calme et une sérénité imperturbables.
Pourtant, au bout de quelques courts instants, ses doigts bougèrent. Imperceptiblement au début, mais de façon plus dynamique au bout d’une minute. Bientôt, ce fût tout ce corps qui se mit en éveil, chaque muscle se dégourdissant de ce long coma avec une fébrilité spasmique. Ses paupières se soulevèrent légèrement, et la première chose qu’il vit, de façon très lointaine, ce fût la lumière, éblouissante pour ses yeux encore endormis. Il se mit alors à remuer en maugréant doucement des murmures incompréhensibles. Puis au bout de quelques secondes supplémentaires, il bougea un peu plus encore, et l’esprit reprit peu à peu possession du corps. Toutefois, l’esprit était encore embrouillé, comme dans un épais brouillard qui mettait du temps à se dissiper. Puis il y eu un grattement, d’abord léger, puis plus vif, que le garçon ressenti à son bras droit. Lentement, il tourna la tête de ce même côté, et il vit le fin tuyau, partir de son avant bras et rejoindre une poche de liquide. C’est là qu’il s’éveilla parfaitement.
« Non… » (1’43)
Une expression de mauvaise surprise s’imprima immédiatement sur le visage du jeune homme, qui remua davantage encore, jusqu’à ce que ses jambes basculent du lit et touchent terre. Puisant dans toute sa force, pas encore revenue, Ashen se mit assis sur le lit avec beaucoup d’efforts, et laissa sa tête retomber entre ses mains. Ses yeux se fermèrent un court instant, et son esprit se laissa envahir de mille questions. Dont la première fût : que fais-je ici ? Très vite, les questions laissèrent place à une volonté unique, celle de partir. Dans cet esprit, il mit toutes ses forces dans ses jambes pour se lever, ce qu’il fit avec grande peine. D’abord, il chuta mollement au sol, faute de l’engourdissement des muscles. Puis il se traîna à moitié par terre, et prit la direction de la porte. S’aidant avec elle, il tâcha de se remettre debout, mais la perche à perfusion le retint en arrière. Il tira sur son avant-bras, la perche vola avant de tomber par terre. Une douleur dans le bras, la perfusion s’en arracha, le sang coula sur le sol couleur mercure. Un cri, le premier, déchira les couloirs des cellules…
XXX
(2’21)
Fraust entendit le cri de son frère, reconnaissable entre mille. Son cœur se serra dans sa poitrine. Peut-être que cela avait commencé ; les mauvais traitements, la torture, les coups, la honte, la souffrance, la colère… Un savant mélange perpétué par la Genetics Corporation depuis tellement de temps. Toujours la même recette, parce que ça marche, parce qu’après, ils sont plus bas que terre, non, parce qu’ils ne sont plus rien. Parce qu’ils n’ont plus la flamme intérieure, l’étincelle de vie qui les rend humains. C’était ça.
Fraust fit son premier mouvement depuis qu’il était arrivé là, levant les yeux aux plafonds de sa cage ; et proférant sa première litanie, pour son frère de sang.
« J’aurai dû t’en sortir… »
Bien sûr, cette pensée ne se limitait pas qu’à Ashen ; non, il aurait dû tous les en sortir, tous les élèves, Iwëne aussi, lui-même, il aurait du faire en sorte que plus jamais le passé ne les rattrape. Il leur avait promis la paix, mais il n’avait pas été capable de tenir cette promesse. Il avait laissé l’ennemi les emmener, tout comme s’il avait purement et simplement mis toutes ces personnes chères, entre leurs mains. Il avait perdu sans même lutter, sans donner tout son être pour les protéger de cet enfer. Et surtout, sa plus grave erreur : il avait cru tout cela derrière lui, il avait cru que c’était pour ainsi dire, fini. Il avait été aveugle, stupide, naïf et irresponsable. Un piètre guide pour tous ceux qui lui avait donné leur confiance. Il avait déçu tous les espoirs que tous avaient mis dans la Faculté. Il avait laissé son rêve, leur rêve, devenir un cauchemar. Pour cela, il était inexcusable.
Et il se voyait, maintenant… Que restait-il de Fraust ?
XXX
(3’22)
Ashen hurla, s’époumona en tambourinant sa porte comme un forcené, à s’en briser les phalanges, où presque, pendant plusieurs minutes.
Lorsqu’il s’arrêta, et laissa glisser son dos contre la porte, son débardeur blanc était partiellement recouvert d’éclaboussures de sang. Ses phalanges ruisselaient du précieux liquide de vie, de même que son avant-bras. Au sang se mêlaient les larmes, des larmes de colère, d’une haine sans nom, d’une profondeur insondable. Ashen aurait voulu tous les tuer de ses mains, en cet instant, femmes, hommes, et enfants, tous ceux qui l’avaient mis en cage, de près ou de loin. Ils avaient voulu lui enlever le ciel, en l’enfermant ici, et c’était devenu, avec le temps, le crime le plus impardonnable aux yeux du jeune homme. Ashen sécha ses larmes, proférant des promesses de vengeance entre ses dents. Oui, une fois sorti d’ici, il les tuerait tous jusqu’au dernier.
Car oui, Ashen avait décidé de ne pas se laisser une seule seconde de répit, il allait se battre dès maintenant pour sortir. Il n’était pas question une seule seconde de croupir ici inactivement, et chaque seconde qu’on lui donnerait à passer dans cette cellule serait mise à profit, pour gagner un peu de force de plus pour les détruire.
Son énergie retrouvée, le rebelle se remis sur ses jambes, et se dirigea vers son lit, avec une lueur de détermination sans faille dans son regard. Il envoya, au passage, valser la perche de perfusion d’un coup de pied, puis arracha sauvagement l’unique drap de son lit de fortune. Y arrachant des bandes de tissus à l’intérieur, Ashen se fabriqua des bandages de fortunes pour son bras et ses articulations.
Quelques instants plus tard, le jeune homme était déjà en train de faire des pompes, nerveusement, les pieds sur son lit. Cela faisait mal, particulièrement sur ses blessures, mais la condition première de la liberté, selon lui, c’était de s’habituer à souffrir, alors autant commencer sur le champ.
Chaque poussée était un véritable calvaire pour le corps encore faible, mais c’était l’équivalent en rage, d’un coup de poing dans le visage de l’un de ses geôliers. Il n’était pas question de perdre une seule seconde, et pour Ashen, chaque seconde était aussi précieuse que chaque goutte de sang parcourant ses veines ; c’était une question de survie, non, de vie. Alors, serrant les dents et ignorant, surpassant toute douleur, fût-elle physique ou mentale, il releva un visage, son vrai visage. Celui de l’homme qui est prêt à commettre tous les crimes au nom de sa liberté. Ce visage qu’il avait perdu en allant à la Faculté, ce visage qu’il avait acquis en finissant de grandir dans un endroit pareil… Ashen connaissait parfaitement la voie qu’il devait prendre maintenant. La route du sang.
XXX
(4’40)
Fraust regarda ses poignets. Les mêmes bracelets électroniques qu’avant, non, de nouveaux modèles. A coup sûr dotés d’une résistance électrique bien plus élevée que ceux d’il y a 6 ans. Vainement, il en était sûr, l’homme électrique tenta de faire passer son pouvoir, à une dose très modérée. Rien ne passa, ils étaient fonctionnels, au moins tant que le leader de la rébellion Mutante restait aussi faible de volonté. Ces deux bouts de métal étaient les preuves que oui, la bête était en cage. Spectacle pathétique, larmes…
XXX
(4’57)
Ils ne m’auront plus jamais…
Ashen était suspendu par les jambes au montant de l’étage supérieur du double-lit. Les mains derrière la tête, il souleva en rythme son poids à la seule force de ses muscles abdominaux. Il avait déjà écrit le scénario, la suite de son histoire, et il n’incluait pas de moisir éternellement ici comme un chien battu et soumis. Non, ce n’était pas lui, et ça ne serait jamais lui, celui qui perds, qui baisse les yeux devant l’ennemi. Ce rôle était pour les faibles, et il n’en serait jamais. Sa blessure à l’abdomen se rappelait à lui, douloureusement, à chaque mouvement de son ventre, mais qu’importe ; il ne perdrait plus maintenant. Plus jamais.
XXX
(5’22)
La blessure à l’œil s’infectait, provoquant des éclairs de douleurs dans la tête de Fraust. Il se roula sur le sol, tenant son visage entre ses mains, frappa de ses poings tout ce qui passait à portée, pleura bien sûr, frappa encore, jusqu’au sang…
Puis, l’éclair de lucidité. Le moment où la douleur oblige à agir contre soi-même pour arrêter ce mal, quitte à se mutiler…
Fraust s’appuya au rebord de son lit, d’une main, sans réfléchir, il porta l’autre à son œil déjà aveugle, touché de la matière corrosive. Instinct de survie, sans doute, il ferma l’autre œil. Couper le mal à la racine.
Fraust arracha son œil gauche. Il ne cria plus. Contempla l’œil dans sa main droite, la rétine rouge de brûlure. Voila ce qui reste de ce mal… Referme le poing. C’était fini. Le sang coula sur le sol, se mêlant à l’eau de son œil droit, pleurant pour l’aveuglement dont il avait fait preuve jusque là. C’était fini. Il restait quelque chose de Fraust, la bête…
XXX
(5’45)
Destruction. Haine. Folie.
Ashen sentit son dos lui piquer, mauvais signe. Rien à foutre, car rien à perdre, et tout à gagner, à commencer par la liberté. Il continua. Bientôt, le sang perla par petites gouttes sur le sol, ajoutant une nouvelle pointe de couleur sur ce tableau insipide. L’impatience de partir d’ici, de se soulever, avec une force nouvelle pour les écraser, de les anéantir, tout ça, pour le sang aujourd’hui versé.
XXX
(5’57)
Briser les chaînes du passé.
Fraust attacha le bout de tissu déchiré dans le drap autour de sa tête et de son orbite vide et sanguinolente. Il revenait des abysses de l’obscurité, mais maintenant, il revoyait un peu de lumière. Oui, c’était eux, c’était ses amis, ses élèves, c’était Iwëne, son unique véritable amour, c’était tous ceux qui l’avait porté, et qui aurait probablement attendu une réaction d’orgueil, d’insoumission. Oui, il avait conscience de sa faiblesse incroyable du moment, et de son incapacité à digérer le coup qu’il avait prit dans le ventre. Et peut-être parce que, maintenant, il en avait conscience, il pourrait espérer se relever, grandi, de cette sombre expérience.
Mais pour ça, il lui fallait du temps. Le temps de se reconstruire mentalement, car il le savait, il s’était perdu en cours de route. Et probablement aussi avait-il failli perdre le peu d’humanité que tous lui avaient apporté. Passé près de redevenir la bête incontrôlable. Le temps de retrouver un semblant de calme intérieur, parce qu’il était passé près, trop près de la folie.
Dans un de ses premiers moments d’apaisement, disons, d’un peu de calme mental depuis qu’il était arrivé ici, Fraust calma les battements de son cœur et sa respiration saccadée et essoufflée. Un bref instant de répit, avant que son nerf optique gauche envoie des signaux électriques dans le cerveau du Mutant, réanimant de plus belle sa douleur. Et l’agonie se perpétua encore, mettant le jeune homme très près du gouffre de la folie. Encore. Encore des coups dans les murs, des éclairs stoppés net par les bracelets électroniques, encore du sang jaillissant de ses phalanges… Souffrance, peur, doute, folie, tout se mélangeait, la vision de l’œil droit de Fraust devint subitement floue. Une nouvelle litanie, celle du torturé.
Je veux que ça cesse.
XXX
(6’50)
Ils ne m’auront pas.
Il tournait comme un lion en cage, refusant obstinément sa captivité. Ashen tenta une centième fois de passer sa main à travers la porte. Même résultat, elle ne traversait pas le matériau de celle-ci. Frustré, énervé par son propre point faible, il en envoya son poing dedans, de rage. Tellement fort qu’il s’en déboîta un doigt. Un cri, celui de la haine, celle de ne pas pouvoir sortir tout de suite, d’être maintenu enfermé et de ne rien pouvoir faire, de façon directe. Rien faire d’autre que tous les maudire dans l’attente de la vengeance. Crevez. Crevez. Crevez…
XXX
(7’08 )
Soulevé de mille spasmes de douleurs, le corps de Fraust frisait les limites de son endurance. Le front brûlant, le cerveau ne sachant plus envoyer assez d’endorphine pour apaiser tous ses maux. Une seconde, une minute, une heure, cela parût durer une éternité.
Aide-moi.
Implora-t’il, ne pensant qu’à elle. Elle, sa lumière, celle qu’il aimait et dont il avait besoin en ce moment d’insoutenable souffrance. Son cerveau brouillait son image, mais son cœur la maintenait, et toutes ses pensées étaient dirigées vers Iwëne. S’il en sortait… En sortirait-il seulement ?
Fraust s’écroula de fatigue, son corps ayant trop enduré en si peu de temps. Mais même après avoir sombré, il la voyait toujours, son rayon de lumière…
XXX