[Japon, Noto-Hanto] En toute innoncence [PV Kaji]

La brume montait des quais pour se répandre en traînée de vapeur tout le long des ruelles de la ville. Noto-Hanto, pas assez connu pour être touristique, vomissait son humidité sur les trottoirs et jusqu’aux maisons. Au dessus de rizières, supportées par leurs planches blanches, décochant du fond sombre du ciel, les habitations laissaient échapper déjà les premiers bruits d’une activité humaine matinale. Leurs toits de paille se fondaient dans le décor crépusculaire et l’atmosphère détendue du lieu. Assurément, le Japon n’était pas le pays du Soleil Levant pour des prunes. Sur le devant d’un apparent hôtel de fortune, une terrasse de bois avec assez de place pour y installer un homme sur un coussin.

Et cet homme s’y trouvait, confortablement installé avec ce qu’il y avait d’espace pour ses jambes, scrutant le ciel et la terre avec ce petit air perturbé qui convient si bien aux philosophes de notre temps. Sourcil légèrement froncé, lunettes noirs sur le nez, épaules légèrement frustrées, avec ce qu’il fallait de style pour ne pas paraître touriste imitant l’autochtone. Assurément, c’était un anglais – du moins, un européen, avec sa peau blanche presque grise et ses cheveux bruns à la limite du noir agités par la faible brise d’un vent matinal.

Il ne s’était pas rendu ici par hasard. Il n’y avait jamais de hasard, et les coïncidences n’existent que quand on y prête attention. Non, ce qui l’avait décidé c’était… le calme. Fuir la ville, fuir la faculté, bouillante de colère, bouillonnante de haine et de tristesse. L’attaque de la GC était tant imprégné de sentiments si liés et si puissant, qu’Albaran craignait comme les autres d’exploser, lui qui à la place des yeux, avait un second cœur et une seconde sensibilité. Evidemment, s’il y avait Malia et son habituelle décontraction pour le détendre, l’aveugle avait bien eu du mal à rester en place, à affronter ce que chaque jour il était obligé de supporter : les pleurs des uns, et la hargne des autres. Quelle suite donner à cela ? La vengeance n’entrainant que la douleur, la tristesse engendrant l’inaction pour la majorité des occasions… Le côté sombre de la force, toussa toussa.

Non, ce que Albaran cherchait ici, c’était ce que les clichées du Japon offrait véritablement, pour peu que l’on s’en donne la peine : la sérénité. Poser ses fesses, trente secondes, écouter et respirer. Chasser le stress. Faire fondre l’anxiété en myriade de vagues. Depuis combien de temps n’avait il pas fait le vide … ? Assez pour ne plus savoir comment relâcher ces épaules qui se bloquaient irrévocablement contre son cou. L’aveugle parvint à écouter le silence, seul le bruit de la mer et l’odeur de l’iode lui parvenait. Peu de civilisation ou presque dans ce coin de l’archipel. A peine de quoi loger trois pèlerins en quête de sérénité. Ces gens qui débarquaient de l’aéroport, pour en suite prendre un bus passant toutes les semaines, avec ce qu’il fallait d’originalité pour transporter humains et bêtes : boules de tissus sur le toit pour coincer les valises, et le reste hop ! Là où on peut. Quel plaisir avait été ce voyage, entassé comme il l’avait été avec certains paysans qui riaient fort, toute dent en dehors. Et le nombre de fois qu’on lui avait marché sur le pied en s’excusant à outrance, ah…

Le silence, le calme, Albaran.
Souffle, respire, écoute.
Là.

[Me voilà, non, pas besoin d'applaudir ]

Depuis la fin de cette nouvelle attaque sur ce que Kajitsu considérait comme son chez-elle par ces êtres supposément pacifiques qu'étaient les membres de la Faculté, cette jeune être artificielle n'avait cessé de s'entraîner, se débattant avec elle-même sans qu'elle soit en mesure de voir ne serait-ce l'ombre d'un résultat. L'explication était simple et très claire à ses yeux: elle ne faisait que se débattre avec les éléments qui composaient son monde et ses propres ténèbres. Ce n'est que quelques jours plus tard qu'elle tenta de prendre un peu de recule, se réfugiant un moment dans l'endroit lui permettant de se remettre les idées claires, aussi étrange que cela puisse paraitre: les couloirs sombres et froids des sous-sols de la GC. Ce milieu avait toujours été pour elle une sorte de cocon, un enfer pour plusieurs, mais un abri pour elle; le seul endroit où on ne pouvait l'atteindre et où elle pouvait être seule pour penser tranquille, malgré les plaintes de certains. Ce n'était qu'à cette endroit que cette bien trop jeune clone compris à quel point elle était désorientée et que si elle voulait pouvoir continuer, elle aurait besoin de reprendre ses racines un moment et de ce retrouver. Pour cela... la Genetics Corporation, qu'importe combien elle l'aimait, n'était pas le milieu idéal pour ça.

Considérant que son précédent voyage avait été un parfait échec, cet arbre artificiel jugea bon de s'essayer de nouveau, ne voyant qu'un seul endroit possible pour reprendre racine un moment avant de se remettre à vivre normalement: sa terre natale. Bien sûr, Kajitsu ne s'était toujours pas réconciliée avec l'Arobase et elle comptait garder en tête son but premier de ne pas y retourner, même si elle savait maintenant qu'une petite puce étant sa petite sœur s'y trouvait. Non pas qu'elle n'aurait pas souhaité la rencontrer, mais elle refusait que cette enfant pour qui elle avait trouvé le nom de Yume la voit dans une si pitoyable condition. Mieux valait donc pour elle de retrouver un petit endroit calme au cœur du Japon, bien que sachant que l'île de Kazun n'était théoriquement pas part de ce pays. Elle choisie donc sa destination au hasard sur une carte, prenant bien soin de faire en sorte que sa destination soit le village voisin, s'évitant ainsi une ville touristique ou quoique ce soit d'autre. Peut-être ainsi trouverait-elle un lieu assez tranquille pour s'enraciner et retrouver un peu d'assurance... qui sait.

C'est donc ainsi que cette jeune Kajitsu s'était retrouvée dans la ville de Noto-Hanto, cherchant à s'éloigner et à prendre un peu de recule sur le monde qui l'entourait et elle-même un peu aussi sans doute. Elle venait tout juste de ranger ses maigres bagages dans cette chambre qu'elle avait loué pour quelques jours, même pas une semaine en fait, qu'elle était déjà à l'extérieur, sur une de terrasse plus ou moins spacieuse. Elle pouvait y voir la mer, exactement comme ces jours où elle traînait sur le port avec ses sœurs. Tout cela lui semblait bien lointain, complètement perdu dans un autre monde. Mais pourtant, c'était ici que tout avait commencé et qu'elle avait dit être chez-elle. Cette vision, pour le moment, avait le don de la mélanger encore plus qu'elle ne l'était déjà. Comme cette jeune être était bien ici, simplement les mains posées contre le dossier d'un banc à observer l'eau et le ciel... cet eau et ce ciel qu'elle connaissait si bien. Si elle était si bien ici, alors pourquoi chercher à combattre? Et c'était ici que ses raisons de combattre revenaient à la charge, faisant de son esprit un véritable tourbillon de pensés désordonnées et opposées.

Toutefois, ce qu'elle n'avait pas remarqué dans sa confusion et retour aux sources, c'était qu'il y avait quelqu'un d'installé sur ce banc...

[Retard, retard... Toutes mes excuses.]

Putain, c’est vachement chiant de rien foutre en fait. Ce qui aurait pu être le repos du guerrier du jour venait de se lutter en un travail acharné pour chasser le truc qui lui gratouillait le nez en ce moment même. Evidemment, de la part d’Albaran – c’est-à-dire de la part d’une personne qui n’avait jamais su rester en place, qui préférait toujours se foutre dans un paquet d’emmerdes plutôt que de profiter du soleil sur une plage de la Côte d’Azur – évidemment, le contraire aurait été étonnant. Alors, maintenant, il avait l’air malin à se tortiller le nez ainsi en des grimaces compliqués et plus ridicules les unes que les autres. Allons, de toute façon, il n’y avait personne. Personne ? Oh, pas si sûr. Il entendait des rires de l’autre côté de la colline, quelque chose comme des enfants qui se battaient dans les rizières, ou des hommes épuisés buvant un coup de saké sur la terrasse de leurs traditionnelles habitations. Typique, non ? Peut être un peu trop, certainement. Rah, ça pue le vieux cliché. Mais depuis combien de temps n’es tu pas revenu sur ses terres que tu avais quitté précipitamment ? Ce n’est pas ton pays, ça l’avait peut être été un jour. Mais tu l’aimes non ? C’est ça qui compte.

Il n’était jamais venu sur cette péninsule, pas plus qu’il ne s’était déjà assis sur ce banc, face à la mer. Ca avait comme un goût d’aventure sans en être vraiment. La civilisation, il la sentait déjà qui faisait les cents pas en haut de la montagne en attendant le bon moment pour la dévaler. Saleté de tourisme de masse, saleté de mondialisation. Attends, dis pas ça, t’as un boulot grâce à eux. Ouai, bon, d’accord. Et après ? Il faisait bon ici, tellement bon, bon d’y vivre, bon de mourir, bon de jouer avec les vagues non ? A combien devraient il vendre ce bout de paradis ? A combien l’achèterait il ? Et ces touristes, ah ces touristes… Tiens, en voilà un autre, trimballant sa valise sur les planches de… de quoi d’abord ? Il y avait quelque chose comme un froissement, comme quelque chose de désagréable, qui passa près de lui sans s’arrêter. Et bien tant mieux, si c’était une nouvelle tête, il n’avait pas envie de la chercher. Après tout, il n’était pas là pour bien longtemps. Soupir. Et quel dommage d’ailleurs.

Il jouait avec l’anneau fièrement accroché autour de son cou par l’habituelle chaine en argent quand un poids à peine digne d’un enfant vient s’installer près de lui. Et lui piquer le soleil, qui à présent, ne lui tombait plus que sur les pieds. Non mais bordel, les touristes, faudrait en faire des petits tas bien fumants pour qu’on puisse faire ses merguez dessus quoi. Tu peux parler toi. Bon, évidemment, c’était trop en demander, trop devant son nez pour qu’il ne puisse pas fermer sa grande bouche qui lui avait souvent valut quelque chose comme un poing dans la gueule ou autre. Pas bagarreur, seulement assez franc pour ne pas supporter qu’on lui casse les couilles de la sorte. Surtout pendant ses RTT. (pas officielles du tout).

« Eh gamin, tu me piques le soleil. »

Un gamin, ça oui, il en était sûr, sûr à s’en manger la main jusqu’à la vésicule. C’était une remarquer, à peine une critique, quelque chose comme « tiens, il fait vachement beau aujourd’hui ». Du coup, il s’attendait à recevoir la réponse habituelle telle que : ‘il est à tout le monde, sale vieux.’ Un truc voulant signifier : « Nan mais je t’emmerde la carcasse ». Tiens. C’est toi qui sent la fleur ?