[Post-Event 5] Rassemblement après l'assaut

Julian, qui avait suivit l’intendant et le groupe d’élèves que celui-ci s’était chargé de mettre à l’abri, avait suivit le mouvement presque comme un automate lorsqu’on les reconduisit dans la Faculté, à présent désertée par les combats et les assaillants. Ses pensées étaient ailleurs, dirigées vers un certain délégué beaucoup trop apte à s’attirer des ennuis. Ses yeux étaient bien les seules parties de son corps qui fonctionnaient de façon spontanée et non automatique, alors que le mutant aux vecteurs cherchait son Twilight un peu partout.

- Je suis sûr qu’il s’est fait choper… murmura une voix en lui.

Le jeune homme au regard d’azur ignora son double ; se disputer avec lui était à prohiber de ses priorités actuelles. Cependant, s’il avait prêté attention au ton employé par son parasite, Julian aurait pu constater qu’il semblait inquiet.

Suivant les indications de Yang Shô, le mutant moléculaire se rendit en salle des fêtes, continuant à espérer l’apparition soudaine du visage de son bien-aimé. Il faisait les cent pas – dans la mesure du possible étant donné le nombre de personnes qui se trouvaient dans la pièce -, anxieux, quand l’intendant reprit la parole. Son annonce lui fit l’effet d’une bombe. Des élèves avaient été enlevés. Et le recteur également. Le recteur, le mutant considéré par un certain nombre de résidants de l’île comme le mutant le plus puissant du coin. S’il avait été capturé, lui, alors Twilight…

- Non, ne pas tirer de conclusion hâtive. Du calme, Julian. Si ça se trouve, il est juste encore quelque part dehors en train d’aider d’éventuels blessés… Oui, c’est ça, il est toujours là, et il va bien… Bon sang, mais pourquoi je suis parti me cacher ? gémit-il pour lui même en enfouissant son visage dans ses mains.

Une vague de colère et de culpabilité faillit déferler sur lui, mais il la refreina en se répétant que tout allait bientôt s’arranger, et qu’ils se remettraient tous de la blessure infligée à la Faculté par l’attaque et les enlèvements dont elle avait été témoin et victime. Se plaçant à la suite de la file formée par les élèves en train de s’identifier auprès de l’intendance, il se saisit de la croix noir qui pendait au bout de ses colliers, et se mit à la frotter entre ses doigts. Ce geste, qu’il n’avait pas eu depuis longtemps, lui permettait de ne pas céder à cette soudaine envie qu’il avait à présent de pleurer. La dernière chose dont il avait besoin en cet instant, c’était bien de craquer émotionnellement.

Une fois son nom enregistré, le jeune Archer repartit faire les cent pas.

Ils marchaient. Presque arrivés aux portes de la salle des fêtes, Melwin lui jeta un dernier regard et Iwëne franchit le seuil. Elle n'eût plus aucune hésitation.
Ses longues enjambées la conduisaient vers l'estrade où elle avait aperçut l'intendant. Démarche majestueuse, visage clair, impassible : on aurait crût l'Ange annonçant la prophétie, l'héroïne de tout un peuple, venue le délivrer avec honneur.
Elle était belle, oui, avec son col roulé noir, les pans de son manteau marron flirtant avec ses bottes. Elle avait toujours cette allure, cette splendeur, cette cascade d'argent pour chevelure ; mais il y avait aujourd'hui autre chose. Iwëne n'était pas que d'une beauté froide, elle paraissait plus humaine, plus... vivante. Son regard vif, déterminé. Quelques minutes auparavant, le trio inspectait l'île, découvrait l'étendu des dégâts : il ne s'agissait alors de la même femme. Agitée, agacée, angoissée, amoureuse, et ce n'était là que le début de l'alphabet. Mais lorsque ces visages tant précieux s'étaient tournés vers eux -vers elle- la liste entière s'était dissipée pour ne garder qu'un seul adjectif : volontaire.
Il y avait des choses à faire, ce n'était rien de le dire. Et Iwëne avait fait des promesses, donc tiendrait ses engagements. Pas un seul instant sa foi n'avait défaillit. Le but ultime : l'havre de paix. Et quand bien même aujourd'hui encore l'antre avait été profané, les mutants attaqués, blessés, tués, il n'était pas question de laisser ici ce chaos.
Elle n'agirait pas avec pacifisme. Cela marchait-il encore dans ce monde de brutes ? Si vis pacem parabellum. Les méthodes ne plaisaient que trop peu : ni Melwin, ni elle n'étaient attendris par la violence -et elle savait que Fraust non plus. Mais voilà où ils en étaient : une attaque de plus pour prodiguer aux détenus un avenir de misère.
Avec eux, aucun langage, aucune trêve. « Vous n'êtes que des bestiaux qu'il faut exploiter, torturer, pour nous assurer l'éternité que nous méritons. »
Pleinement, certes.
Les défunts ne devraient être dans cette guerre stupide, mais nous ne sommes guère lucides : quand je vois Malia, si proche d'eux, cadavres, amis, je n'ai qu'une envie, vous voir souffrir tout autant. Quelle fierté, n'est-ce pas, d'avoir de la rancoeur, d’animer en sois un désire de coup de poignard, de dos tordus jusqu’à le déchirement de vos os ? Voyez à quoi vous m'abaissez, vous, généticiens à l'esprit dément, vous dont les coeurs sont gouvernés par la sauvagerie, qui les rend ensuite, avec plaisance, plus sombre encore que vos actes.
Je ne serais plus glorieuse, tuant votre temps,
Mais je viendrais chercher et mon âme et mon sang.

Votre humanité n'est plus une question : vous n'existez qu'à travers nous.

Iwëne monta sur l'estrade. Yang Shô l'accueillit, tout en gestuelle et voix émotionnée. S'en suivit une rapide mise au point : l'intendant conta brièvement l'assaut, certifia que Fraust et des élèves avaient été enlevés, et qu'il avait demandé aux autres de noter leur nom. Iwëne le remercia de son intervention, puis se tourna vers les mutants. Yang Shô, soulagé de léguer les rênes à la co-rectrice, annonça :
-Un peu de silence, s'il vous plaît ! Mademoiselle Iwëne est arrivée plus tôt que nous ne l'avions espéré et elle a quelques mots à vous dire !
La jeune femme resta de marbre. Melwin, à sa gauche et Aube à sa droite, légèrement en retrait, le trio s'imposait aux yeux de tous, et lorsque le bruit se fit plus supportable, elle prit la parole.
-Sachez tout d’abord à quel point cette nouvelle nous a bouleversé, mes camarades et moi-même. Certains d'entre vous ont sans doute dut se battre, d'autres apprendre que leurs amis avaient été enlevés. Et je comprends combien il peut être traumatisant de vivre l'un ou l'autre.
Sa voix sembla s’étrangler en fin de phrase. L’image de Fraust, puis celle de Twilight lui apparut, et l’une et l’autre lui procurèrent une violente douleur dans la poitrine. C’est les yeux brûlants que la mutante regarda ses semblables. Elle vit parmi eux Julian, celui qu’elle savait comme étant un garçon extrêmement proche de son frère de cœur. Il vivait la même chose qu’elle, il attendait leur retour. Mais lui ne pleurait pas. Julian devint l’exemple à suivre, et Iwëne eût le courage de continuer.
-Certains encore sont morts ici. Nous qui vous promettons un abri et s’engageons à vous offrir une vie meilleure… En ce jour, sachez notre peine s’alliant à la vôtre, et notre honte. Je comprendrais que vous n’ayez plus confiance en nous, mais ce n’est pas pour autant que nous allons abandonner nos frères.
Aussi, voici comment va se dérouler la suite des événements… Vous allez tout d’abord finir de noter vos noms. Après quoi, ceux qui le veulent –et le peuvent- pourront rejoindre leurs familles. Vous préciserez alors sur le registre si vous êtes toujours à la Faculté ou dans vos foyers… Passez du temps avec vos proches… Quant à ceux qui resteront ici, vous serez sous la surveillance d’un ou deux professeurs. Il n’est que peu probable que la G.C. revienne ; elle a déjà eût celui qu’elle voulait. Aube Taboï… Elle désigna la jeune femme en se tournant vers elle. saura nous mettre en contact avec des mercenaires, qui partiront « chercher » les captifs. Je vais m’entretenir personnellement avec leur chef, et en fonction de ses plans, vous pourrez ou non participer à cette… Elle se retint de dire « revanche ». mission. Non, je ne vous encourage pas à prêter main forte. Nous avons déjà assez perdu et je pense que l’élite engagée n’a besoin d’homme supplémentaire. Cependant, comment empêcher d’agir les plus téméraires ? Il est toujours préférable de vous savoir organisé, à plusieurs, que seul et sans aide aucune. Les volontaires iront se manifester auprès de Melwin, que voici.
Iwëne le présenta de la même façon que Taboï, et l’homme, impressionnant de carrure, hocha légèrement la tête. La co-rectrice reprit son souffle et clôtura son discours :
-Dès que nous serons en mesure de vous communiquer davantage d’informations, vous serez prié de vous présenter de nouveau dans cette salle.
Et elle descendit de l’estrade. Se tournant rapidement vers Aube, elle lui intima de la suivre, et lorsque toutes deux traversèrent la salle, Iwëne lança un regard à chacun des professeurs présents, regard qui semblait signifier « Venez. Nous avons besoin de vous aussi. ».

Son regard s'était perdu dans cette assemblée d'adolescents et de jeunes professeurs, mais son écoute était toujours portée aux paroles de la belle Iwëne. Il lui découvrait la facilité de s'adresser à un public -faculté qui le surprenait beaucoup, lui qui l'avait connue dans ses pires crises d’associable. Melwin savait déjà qu'Iwëne avait réussi à manier l'écrit (fut un temps, elle avait aspiré à la carrière de journaliste), mais ces quelques années séparé d'elle lui envoyait en pleine face ce qu'il avait put manqué. Ainsi, elle parlait. Brave enfant. Mais même si Melwin voulu croire à un réel progrès, il savait au fond de lui -tout comme Iwëne le savait- que c'était surtout dût à ce moment d'urgence. La timidité n'avait de place et on allait droit au but. D'autant plus quand on était à la tête d'un tel projet.

Enfin, quand Aube et Iwëne eurent fini leur discours, Melwin les regarda s'éloigner et tenta d'apercevoir les professeurs appelés à les suivre dans le bureau du recteur. Difficile, car tous ici semblaient avoir à peu près le même âge. Des enfants, au mieux des jeunes adultes.
Au bout d'un certain temps, cependant, il vit un homme -cheveux noirs, lunettes noires- se mouvoir jusqu'aux portes.
Melwin eut un hochement de tête pour lui-même. Bien. Ils n'étaient pas seuls et il restait encore un professeur (peut-être plus, mais il n'en avait découvert qu'un seul pour l'instant). Il se rapprocha ensuite du bord de l’estrade pour prendre la place qu'Iwëne occupait une minute plus tôt. Une nouvelle fois, il parcourut la salle du regard.
-Ceci n'est qu'une formalité. Nous ne voulons pas de morts supplémentaires, morts causées par des tentatives d'héroïsme. Bientôt nous saurons si le chef de la troupe de mercenaires chargés de se rendre à la Genetics Corporation a besoin de soldats supplémentaires ou non. Et même si nous pensons qu'il y a de fortes chances pour que vous soyez refusé, je vous déconseille de vous engager à la légère. Un « oui » n’est pas à exclure. Aussi, toute personne qui se présentera comme volontaire doit savoir que la mort, elle aussi, est une possibilité.
Il prit un temps de pause et essaya de nouveau de deviner qui seraient les plus téméraires. Comme personne ne se présentait encore, il continua :
-Je désire également connaître le nom et les compétences de ceux qui se joindront à cette mission.
Si personne ne se présentait, Melwin irait directement rejoindre Iwëne à la petite réunion improvisée.

Julian réagit au quart de tour quand l’intendant annonça l’arrivée d’Iwëne. Perdu dans ses pensées, le mutant aux vecteurs n’avait pas remarqué la jeune femme parmi la foule qui se trouvait dans la salle. Il ne s’était jamais entretenu avec elle, mais il était au courant que Twilight et la co-rectrice de la Faculté entretenait un lien particulier. Peut-être l’avait-elle aperçu ? Peut-être même lui avait-elle parlé ? Le jeune homme aux yeux bleus devait absolument le savoir.
Alors qu’il commençait à se déplacer en direction de la belle mutante, Julian aperçu une autre personne qui entretenait un lien avec son aimé. Et pas n’importe quel lien. Le lien qui lit les personnes d’une même famille. Aube se trouvait là, accompagnant Iwëne, ainsi qu’un autre homme à la stature imposante, et à l’air vif et tenace. Aussitôt, le mutant aux vecteurs changea de cible. S’il devait s’entretenir avec quelqu’un à propos de Twilight, Aube était la plus haute autorité possible.
Cependant, sa volonté fut compromise. La co-rectrice commença à discourir, et la foule se massa de telle sorte que Julian ne put continuer à avancer. Il fut donc, par la force des choses, condamné à écouter les paroles d’Iwëne. Et cela n’avait rien de réjouissant. Mort, enlèvement, bataille. L’aînée Taboï prit ensuite la parole. Son discours fut bien plus court, mais aussi bien plus tranchant que le précédent. Le mutant aux vecteurs était d’ailleurs particulièrement visé, vu le regard que la blonde posa sur lui, ce dont il ne comprit pas vraiment la raison. Ah moins que…

Brrrr.

Il sursauta lorsqu’il sentit quelque chose vibrer dans sa poche. Un objet dont il n’avait aucune utilité, mais que Twilight avait absolument tenu à lui acheter. Le mutant aux vecteurs décida d’abord d’ignorer les vibrations de son téléphone mobile, l’instant était bien trop grave, et les pensées qui prenaient forme dans son esprit suite aux paroles, et surtout au regard d’Aube étaient bien trop préoccupantes pour qu’il se soucie d’un SMS, sans doute publicitaire par ailleurs. N’écoutant que d’une oreille les paroles de l’homme qui se trouvait en compagnie de l’aînée Taboï et de la co-rectrice, il commença à progresser en direction du trio, quand un doute l’assaillit. Hésitant, il se décida à se saisir de son mobile –un modèle plutôt banal, même s’il avait eu du mal à convaincre son petit ami de ne pas lui acheter un autre modèle qui tenait plus de l’ordinateur de poche que du téléphone- et pianota fébrilement sur le clavier pour afficher le message. Le parcourant rapidement du regard, ses yeux s’écarquillèrent et il lâcha l’appareil, dont l’écran se fissura en rentrant en contact avec le sol.

- Non… murmura-t-il.
- Et merde ! entendit-il en écho.

Sur l’écran brisé du gadget, le texte suivant était affiché :

Twi a écrit:

Mon ange, tu sais déjà que je suis capturé. Mais je t'interdis de venir me chercher. Je ne suis pas en sucre et j'en mourrais s'il t'arrivait quelque chose. Donc tu restes calme et tu attends mon retour. Je vais très vite revenir, ce n'est pas une simple cellule qui va me garder contre mon gré.

Je t'aime.

Twi, futur membre de l'élite de la GC.

Ce qu’il craignait s’était produit. Voilà donc l’explication au regard qu’Aube lui avait adressé. Twilight, son Twilight avait été capturé par l’ennemi. La Genetics Corporation. Rien que de penser aux horreurs qu’il allait subir, qu’il devait peut-être déjà subir en ce moment, Julian se sentit anéanti. Il n’était donc pas capable de protéger un être cher ? Comment pourrait-il encore oser aller se présenter devant la sœur de son aimé, alors qu’il n’avait pas su le sauver ? Il était désespéré. Sur l’instant, il eut même une pensée d’un égoïsme surprenant. Il souhaitait avoir été capturé lui aussi. Au moins, il aurait été aux côtés de sa moitié. Alors qu’il s’enfonçait dans son désespoir, répétant sans cesse son souhait en son for intérieur, il sentit une colère incroyable lui enflammer le sang. Mais ce n’était pas la sienne, du moins pas exactement.

- Comment peux-tu te conduire comme ça !? Tu n’es vraiment qu’un bon à rien, une sale loque. J’ai honte de co-habiter avec toi ! Je me demande comment il a bien pu s’amouracher de toi, et supporter, chérir un être aussi stupide et faible ! Donne moi ce corps ! Donne le moi ! Moi, je vais agir. Tu me prends pour l’être le plus horrible que tu as connu dans ton existence, mais ce qui t’as peut-être échappé, erreur vivante, c’est que moi aussi, je peux ressentir. Alors maintenant, bouge toi, ou bien c’est moi qui vais bouger !

Jamais son parasite ne lui avait parlé avec autant de hargne. Même lorsqu’il avait appris à lui barrer l’accès aux commandes de son corps, il n’avait jamais sentit une aussi grande colère de la part de son alter-ego. Et la raison était claire, comme de l’eau de roche. Lui aussi, il tenait à Twilight, aussi improbable que cela puisse paraître de sa part. Et cette tirade violente avait au moins un point positif : elle avait réussi à réveiller Julian. Double n’aurait rien à faire. Il aimait Twilight, et tant que celui-ci sera en vie, il se battra pour le récupérer.
Revenant à la réalité, le jeune homme aux cheveux noirs ne parvint pas à retrouver Iwëne et Aube. Il comptait partir à leur recherche, quand il remarqua que l’homme était resté. Les paroles de ce dernier lui revenant à l’esprit, Julian alla se présenter devant lui, sans même récupérer son mobile qui gisait toujours au sol -de toute façon, seul le numéro de Twilight figurait dans sa mémoire-. En temps normal, il aurait été plus que timide devant un homme d’une telle carrure, mais l’heure n’était pas à l’hésitation.

- Monsieur, je souhaite prendre part au sauvetage de mes camarades capturés. Je me nomme Julian Archer, et je suis un moléculaire. Mon pouvoir ? Des bras invisibles et aux capacités potentiellement destructrices. Je ne suis pas doué pour me battre, mais la personne que j’aime a été enlevée, et il ne peut y’avoir meilleure motivation que celle-ci. Sur ce, j’ai quelque chose d’important à faire, asséna-t-il presque d’une traite.

Aussitôt sa présentation terminée, le jeune homme s’en alla, se faufilant entre les étudiants restants comme si d’un coup il était devenu une brise. Dans sa tête, c’était plutôt l’ouragan. Son but présent : trouver Iwëne et Aube, surtout Aube, et leur parler, agir, participer. Il devina sans mal que la co-rectrice avait dû convoquer un conseil d’urgence, et que par conséquent elle se trouvait dans le bureau de recteur, lieu où il avait espéré se rendre le moins possible. Sortant de la salle des fêtes, il déambula rapidement dans les couloirs.

Elle le traîna dans tout le couloir, le pauvre enfant, le tenant loin du bureau. Ils n'avaient plus rien à voir avec eux. Julian. On n'avait pas idée d'infliger pareilles horreurs à des gosses à peine pubères. Déjà, avant même qu'on leur vole leurs amis, on leur volait leur famille, on leur volait leur identité. Bonjour, je suis paumé, je suis quelque chose. Et encore, peut-être pas. J’peux m’installer ici ? On les aidait, bien sûr, à se maîtriser, à comprendre ce qu'ils étaient devenus. A l'accepter, surtout. Mais il y avait toujours cette perte ; ces gens-là seraient toujours voués à l'existence sordide : survie, essaye, abandonne. Non, on ne les abandonnerait pas !
Les yeux dans les yeux, une main posée sur son épaule, Iwëne intimait au garçon :
-On ne peut pas. Je suis entièrement d’accord avec toi et ta révolte, mais on ne peut pas. Non… On pourrait agir autrement, partir, se débattre, s’imposer tout simplement. Mais il y aura toujours des personnes bien intentionnées qui nous en empêcheront. On appelle ça les amis, la famille... Alors pour toi, on t'administrera le même sort : l'attente et le désir de continuer. Tu vas comprendre.
La jeune femme l'emmena, toujours de son bras poussé dans le dos, sans violence cette fois-ci. Elle avait la tête qui tournait un peu, à force de parler trop fort, mais il allait falloir qu'elle résiste contre l'envie de piquer un somme. D'une, elle n'arriverait pas à se calmer pour autant, de deux, ce serait vraiment inapproprié à l’urgence du moment.
Ils se dirigeaient donc vers la salle des fêtes où, quelques minutes plus tôt, elle avait dut faire un discours pour expliquer la situation aux élèves. Il ne restait plus qu'à vérifier si Melwin avait sut les tenir tranquilles. Lorsqu'elle s'approcha des portes, il n'y avait pas plus de brouhaha. Elle entra, calme.
Son premier réflexe fut de chercher le grand homme. Quelques secondes, et celui-ci se trouvait déjà en face d'elle, près à apprendre la nouvelle. Il était descendu de l'estrade où certains élèves avaient voulu s'inscrire à la mission « sauver les kidnappés ». Qu'importe les compétences et les noms de chacun, ils n’auraient l'opportunité de prouver leur force. Pas de courte gloire. Personne n’irait mourir sur scène.
-Alors, que fait-on ? s'empressa de demander le mutant.
Iwëne ne répondit pas tout de suite, l'observant, comme pour graver en mémoire cet air inquiet qu'il affichait. Melwin, la façade, le mur contre toute épreuve, le bouclier. Ca lui fendait le coeur de l'atteindre à ce point. Car la panique, il ne l'avait nullement pour Fraust ou les détenus, il l'avait pour elle -et ça, c'était le genre de chose qui vous dégoûtait de vous-même.
-Les élèves ne peuvent venir. Vitalie, à la tête du MIL, ne veut combattre qu'aux côtés de ses soldats. Même toi, tu n'iras pas.
Là, c'était davantage de curiosité qui transparaissait. « Même toi, tu n'iras pas ». Cette phrase sous-entendait qu'Iwëne, plus que lui, ne se rendrait pas à la Genetics Corporation. Ce qui l'intriguait, c'était qu'elle l'acceptât au point de ne pas se mentionner.
-Et non, je ne suis pas d'accord avec ça, ajouta-t-elle.
Perdu. Mais elle n'avait pas fini, Melwin le présageait.
-De notre côté, nous entraîneront les élèves, du moins ceux qui ne pourront pas rentrer chez eux. L'effort permet de faire abstraction de la douleur pendant un temps, et puis, ça redonnera de l'espoir au groupe.
Il approuva. Iwëne avait prouvé cette théorie toutes les années passées ensemble. Se morfondre ne faisait qu'agrandir la plaie, l'alimenter ; se relever et frapper dans le punching-ball, au contraire, permettait d'évacuer le trop plein d'infection. On n'en gardait que le minimum bactérien pour ensuite mieux le combattre. Subsistait l’affection.
-D'accord.
-Voici Julian.
La demoiselle aux cheveux d'argent s'écarta quelque peu sur le côté pour présenter le garçon, qui avait sans doute peine à tenir debout. Ce fut l'occasion pour Melwin d’apercevoir la main apparue dans le dos de la belle. Il soupira.
-Je veux qu'il soit entraîné, tout particulièrement. Et pour cela...
-Oui.
Leur amitié était à ce point fusionnelle que ni l'un ni l'autre ne ressentait le besoin de terminer sa phrase pour se faire comprendre. A ce stade-là les mots étaient bien secondaires, et seul leur façon de penser suffisait à créer le dialogue. Melwin entraînerait Julian, à sa façon.
-Il ne nous reste plus qu'à attendre le MIL et à prévenir tes volontaires que leur candidature est réfutée.
Melwin approuva et se chargea de faire connaître publiquement la nouvelle.