[Lhassa, Népal] L'Esprit.

Logan avait marché presque comme un robot, pour atteindre le bas du grand escalier menant au palais du Potala. On aurait pu penser, à le voir marcher ainsi, qu'il était hypnotisé par une force étrange. Que quelque chose de plus fort que lui dirigeait ses pas.
Le jeune homme avait beaucoup changé depuis quelques temps, et ce n'était plus du tout le même au M.I.L.. On le sentait tellement distant, tellement loin du présent... C'était étrange venant de sa part, réellement déconcertant.
En vrai, le jeune mutant Michael Logan était en train d'évoluer, de grandir. Et ce grâce, ou à cause, des différentes épreuves personnelles qu'il avait traversé ces derniers temps. Un peu comme tout le monde dans les moments importants de la vie, finalement.

Mais Logan changeait sans doute dans une voie que l'on pourrait qualifier de sombre. Sa mentalité devenait de plus en plus sombre, violente aussi. La haine commençait à l'habitait, gagnant chaque jour un peu de terrain sur la facette "cool" du technicien du M.I.L.. De plus en plus souvent, il ressentait le besoin de s'isoler, de travailler sur soi, autant physiquement que mentalement. En bref, il se coupait un peu du monde, tout aussi violamment qu'un nouveau-né dont on coupe le cordon ombilical qui le relie à sa maman. Cette comparaison était finalement presque juste pour décrire ce changement progressif de l'état d'esprit de Logan. Ces dernières semaines, il avait sans doute davantage pris conscience de la dureté du monde, et se préparait à être tout aussi dur... Pourquoi? Sûrement parce que le londonien d'origine avait envie d'autre chose...

Parralèlement à ce changement, à la création de cette espèce de coquille protectrice, Michael avait également envie de croire en autre chose. Ce monde l'avait déçu, quand bien même il y trouvait quelques divertissements: manger, picoler, baiser, dormir, bricoler, piloter... Mais là est l'essence même d'un divertissement: selon la racine du mot, il "détourne" l'individu de quelque chose. Et là, en l'occurence, Logan se détournait, par ces quelques loisirs, de la pourriture ambiante dans son monde, sa réalité. Alors oui, il avait envie de croire qu'il y avait quelque chose d'infiniment mieux au delà de cette image négative que lui renvoyait le monde. Ce chaos, pour être exact... Et dans la brume, difficile de trouver un chemin pratiquable, où l'on sait qu'on ne risque pas de se casser la gueule, tout du moins à quelques ornières près.

C'était ici que son initiation spirituelle commencerait. En haut des marches, il y avait le palais du Potala. Un lieu-saint comme il n'y en avait pas deux dans ce monde d'immondices, de pêchés et de vices. Un lieu en paix, où Logan savait qu'il pourrait s'y retrouver avec lui-même, en harmonie. Cet endroit, c'était le début de quelque chose, à n'en point douter... Quant à savoir quoi...

Ici commence mon chemin de Lumière... Et aussi de Ténèbres...

Spyke commença à monter les marches, d'abord en marchant. Puis très vite, la course s'imposa. L'escalier était très grand, très long, et il n'en voyait simplement pas le bout. Alors aux grands maux... Les touristes, pour la plupart asiatiques, regardèrent donc passer Logan à la fois amusés et un peu outrés aussi: on ne court pas ici, bordel!
Mais, enfin le bout de l'escalier arriva. Et ce fût un Michael tout essoufflé et au front transpirant qui se retourna en direction de la place, en contrebas. Il se rendit alors compte qu'il avait beaucoup grimpé en hauteur, à en juger par la position basse de l'hélico' de la team. N'empêche, une sacrée vue...

près avoir contemplé quelques brefs instants cette dernière, Michael se retourna, et vit enfin l'édifice, écrasant de par sa taille imposante, majestueux, puissant. Cet endroit avait vraiment quelque chose de surnaturel, on aurait dit qu'il en émanait une force incroyable... Une espèce d'aura sacrée, comme jamais le jeune homme n'en avait senti d'aussi forte dans sa vie. Avant même d'être entré, il était déjà soufflé...

Après avoir fait quelques pas pour se rapprocher, il tomba sur l'une des statues du lion des neiges, qui protègent l'entrée du palais des mauvais esprits. Logan s'arrêta devant celle-ci... Elle avait la classe, cette statue, même si elle lui rappelait un peu le fieffé imbécile de lion de la Genetics qui lui avait esquinté les dents... Passons, oui.

Logan attendit quelques minutes, en suspension devant la grande porte d'entrée. Un petit quelque chose le retenait de franchir ce pas symbolique. En regardant en arrière, dans ses souvenirs, il retrouva tout son passé. Tout était intact, ou presque, depuis ses parents, sa vie de famille, la G.C., la suite, Nanotech.Inc, et le M.I.L., plus tout ce qui découlait de tout ça.

Et il entra, d'un pas confiant. Il y avait encore une lueur d'espoir...

[suite à venir...]

Si l'extérieur était d'une beauté surnaturelle, alors il n' avait plus de mots pour décrire l'intérieur du palais du Potala. Magnifique était trop faible, que ce soit pour parler de l'achitecture, des divers ornements, des fresques murales ou de l'atmosphère qui imprégnait cet endroit. Michael frissonna de tout son corps, de toute son âme...

Il y avait du monde, et pourtant, Logan se sentit tout à coup seul. Il fit un pas, puis deux, et s'avança ainsi dans l'allée centrale, droit devant lui. Ses pensées étaient troubles et son coeur lourd. Déjà, il sentait son âme se rassener de la paix que dégageait ce lieu. Dans le même temps, une impression diffuse envahit son esprit. Une sorte de préssentimentqui lui indiquait qu'il allait se passer quelque chose d'important. Sans cependant que Michael puisse savoir ce dont il s'agissait.

Lorsqu'il s'arrêta enfin, il releva ses yeux, à défaut de son visage, et tomba sur une statue. Son esprit frustre, païen, lui dictait que c'était une représentation du Bouddha. Des images à l'effigie de ce dernier, il en avait vu des centaines, mais celui là, il était différent. Il avait quelque chose...

"Buddhaṃ śaraṇaṃ gacchāmi."

Michael tourna sa tête à sa gauche, où un petit bonhomme le regardait, les mains jointes sur son plexus solaire, une vieille toge colorée sur le dos et un sourire altruiste aux lèvres. Sans doute l'un des bonzes chargés d'accompagner les visiteurs et de leur raconter l'histoire du palais. Logan fit un sourire navré, avant de répondre, en anglais:
"Excusez-moi, mais je n'ai pas compris..."
Le vieux moine reprit alors, en anglais. Le londonien n'en fût pas très étonné, en se rappelant qu'autrefois, la couronne britannique avait étendu son influence tout près d'ici.
"Au Bouddha en refuge je vais. Vous sembliez en pleine hésitation devant la statue de Gautama Shakyamuni, le Bouddha."
Logan regarda encore l'idole, d'un seul oeil et de façon brève cette fois, avant de répondre:
"Oui... Je suis venu ici pour... Commencer une nouvelle étape de ma vie..."
Cela faisait bizarre à Spyke, de se déballer ainsi, devant un inconnu en plus. Mais il avait senti, en mettant les pieds ici, qu'il devait aller vers l'ouverture.
Etonnament, le bonze trouva à Michael la raison de sa venue:
"Vous recherchez votre chemin de lumière, le nirvâna. N'est ce pas?"
Logan leva deux yeux trahissant son étonnement. Le moine souriait, toujours, il avait l'ascendant.
"C'est... Oui, je suppose que c'est à peu près ça..."
"La tristesse, la frustration et la colère, les trois poisons qui constituent Duhkha, la souffrance, font partie de votre vie, Śūnyatā."
Le petit interlocuteur de Logan prit une moue un peu désolée, alors que le concerné fût laissé un instant dans l'expectative. Le bonze reprit, en se tournant vers la statue.
"Il est possible de s'abstraire des trois poisons, en atteignant le nirvâna. Le fondement du bouddhisme, le triple-socle des Trois Joyaux, dit: "
Buddhaṃ śaraṇaṃ gacchāmi
Dharmaṃ śaraṇaṃ gacchāmi
Saṃghaṃ śaraṇaṃ gacchāmi
Cela signifie: Au Bouddha en refuge je vais, au Dharma en refuge je vais, au Samgham en refuge je vais. Vous connaissez ces trois mots?"
Logan connaissait le Bouddha et le Dharma (enseignements de Bouddha), mais il demanda au vieil homme de lui expliquer le dernier.
"Le Samgham est la communauté. Entendez, la communauté des bouddhistes."
Michael acquiessa, comprennant un peu mieux la chose.

Peut-être que le vieux bonze avait raison. A regarder en arrière, la vie de Michael était effectivement faite de tristesse, de frustration et de colère, particulièrement le passé proche du jeune mutant. Il savait, même s'il n'avait su se le reprocher jusqu'alors, que c'était à cause de ça qu'il se sentait pas très bien depuis quelques temps...
Mais de toute évidence, il avait aujourd'hui l'opportunité de recommencer tout depuis le début, ou presque. De remettre les compteurs à zéro, en tout cas. De repartir du bon pied pour affronter les emmerdes que la vie sèmerait sur son passage. La question était: Michael "Spyke" Logan sera-t'il capable de faire des sacrifices, pour libérer son âme et son esprit?

[Suite à venir...]

Michael savait trop bien ce qu'impliquait la spiritualité, notamment l'abandon des possessions terrestres, matérielles, pour ouvrir son esprit à quelque chose d'infiniment plus grand: l'univers. Le Bouddhisme, ainsi que nombre d'autres religions ou spiritualités, préconisait donc de renoncer à la boisson, aux substances psychotropes ou addictives, le sexe dans toute son impudeur... Bref, rien qui pourrait conciler la religion et Logan, c'était évident. Il aimait trop ces petits plaisirs de la vie pour y renoncer, en sachant très bien qu'il ne s'agissait là que d'autant de placebos, qui lui rendait la vie faussement plus agréable, la pilule plus facile à avaler. Evidemment, c'était strictement faux, et cela équivalait à nourrir une névrose, sans doute pas la moindre de Spyke, sans fin.
Et cette solution était pour le moment, extrêmement confortable à notre étalon national. Il était jeune, et comme tous les jeunes, il se disait simplement qu'il avait encore du temps devant lui pour songer à changer de mode de vie. Le "Ouais... On verra demain..." classique.

Mais de toute façon, il n'était pas venu chercher ici ce genre de renoncement. Ce qu'il était venu chercher, c'était quelque chose qui pourrait apaiser son âme de soldat, soldat qui se reproche bien vite toutes les atrocités qu'il a pu déjà commettre au cours de sa relativement courte existence. Il avait eu des volontés meurtrières, il avait eu une haine pour son ennemi, haine qu'il ne connaisait pas chez lui, ou tout du moins, qu'il n'avait jamais cru aussi forte. Etpuis, globalement, c'était davantage son mental plutôt que son corps, qui se dégradait. Et c'est précisément là qu'il voulait faire quelque chose.

"Je ne cherche aucunement à me convertir, bien que votre spiritualité soit très... Honorable, à n'en point douter. Je chercher à dissiper les ténèbres de mon esprit, car j'ai... Fait des choses mauvaises, disons... Des choses que je me repproche tous les jours..."
Le moine sourit, toujours de façon aussi altruiste. Il avait toutes les réponses.
"Diso disaṃ yaṃ taṃ kayirā verī vā pana verinam,
Micchāpanihitaṃ cittaṃ pāpiyo naṃ taṃ kare.
Quel que soit le mal qu'un ennemi fasse à un ennemi ou un haineux à un haineux, un cœur mal dirigé fait un mal encore plus grand. C'est le début du chemin de la rédemption."
Pardonner... Pardonner les ennemis, ça c'était un concept totalement barré, pour le technicien du M.I.L. Comment pourrait-il un jour pardonner le mutant qui avait tué Jeff? Bon ok, en même temps, il était crevé le gars en question...
Mais sans doute fallait-il placer le concept de rédemption dans un contexte plus général. Le moine avait encore raison, Michael vivait dans le passé, il vivait présentement pour se venger, par revanche sur la vie qu'il avait vécu, pardon, subie. C'était aussi le fondement du M.I.L., le "plus jamais ça" des mutants. Pardonner la Genetics Corporation, et les autres, pour leur atrocités, leurs exactions, bien sûr que tous le pouvait. Mais, et les suivants? Ceux qui y étaient, maintenant, là bas, et qui sans doute, n'en reviendront pas, si on reste là, à pardonner?
C'était bien ça, tout l'enjeu de leur lutte. Pas seulement pour eux, ils combattaient aussi pour les suivants sur leurs listes, et aussi dans l'espoir d'un avenir meilleur pour les leurs, et leurs descendants.

"Est-ce mal de combattre, violamment j'entend, pour sauver des vies, pour en protéger indirectement d'autres?"
Le bonze sourit, et regarda à nouveau l'idole.
"Vous posez beaucoup de questions dont vous connaissez les réponses, jeune homme."
Et il avait encore et toujours raison. Il était incroyable, ce papy...
En effet, pour Logan c'était tout net: si il luttait, c'était bien parce qu'il jugeait que c'était une bonne chose, pour une cause louable. Le moine nota cependant:
"Malgré tout, il ne faut pas perdre de vue que, aussi noble soit votre cause, vous allez ôter des vies à des personnes comme vous et moi. Il ne faut pas perdre cela de vue."
Ôter la vie, c'était ici joliment dit, et pourtant dans la stricte réalité des faits, c'était effecivement loin d'être "rien du tout". Mais il semble que la souffrance soit inhérente au fait d'être mutant, en l'état actuel des choses. Il semble que la mort, elle serait partout, presque omniprésente, tant que les mutants seraient traqués de la sorte. Faire couler le sang, bien sûr que c'est très grave et lourd de conséquences; pour preuve, Logan sentait encore ses mains être imbibées de celui de Jeff. Pourtant, jamais ils n'avaient tué d'innocents, à sa connaissance. Cela dit, la vie d'un innocent et celle d'un coupable pèsent le même poids, elles ont la même valeur aux yeux du "tribunal divin", s'il y en a un. Et surtout, la mort est un verdict sans appel, contre lequel on ne peut pas lutter. Quand ça tombe, ça tombe, et l'on ne s'en relève pas. Enfin, en théorie...

"... Je suppose qu'une fois ma tâche accomplie, seulement à ce moment là, je pourrais atteindre le nirvâna..."
"Il n'est jamais trop tard... Et rien ne vous empêche de commencer le chemin qui vous y mènera."
"Sans doute... Je ne savais juste pas du tout par où commencer..."
"Par le début, bien sûr: avant de pardonner aux autres, pardonnez-vous à vous-même."
Et toujours ce sourire si troublant, celui des gens qui n'ont que ce qu'ils sont, à vous offrir. Et toujours cette lucidité, que Logan n'avait même pas à propos de lui-même. Car evidemment, le hacker du M.I.L. ne s'était pas pardonné d'avoir laissé ourir Jeff. Cet évênement avait fait une plaie ouverte quelque part à l'intérieur de lui, et encore aujourd'hui, il se rendait compte que la plaie était toujours aussi ouverte. Et qu'il ne l'avait pas refermé, principalement parce qu'il ne s'était pas pardonné, quand bien même sa responsabilité dans la mort du jeune homme n'était pas entière. Se pardonner soi-même... Ouais, c'était définitivement le point de départ...

Logan sourit à son tour, avec toute l'humilité qu'il pouvait encore lui rester; et il s'agenouilla devant le moinde, en disant simplement:
"Merci."
Le petit homme le pressa de se relever en insistant, visiblement il était un peu gêné:
"Allons! Vous savez, les autres sont souvent un miroir de soi-même. Je ne vous ai rien appris que vous ne saviez déjà, tout au plus vous ais-je dit ce que vous aviez besoin d'entendre de la bouche de quelqu'un d'extérieur."
Encore un point pour toi, vieil homme. Mais si tu savais combien tu as participé à faire de Logan un homme libre...

Après avoir encore vivement remercié le moine bouddhiste, pour tout le Dharma qu'il en avait tiré, Michael se retourna. Cette fois il souriait.
"Je reviendrai, un de ces jours... A bientôt."
Et ce jour là, lorsqu'il sortit du palais du Potala, il voyait déjà un point de lumière, dans son esprit de ténèbres. C'était ce point de lumière après lequel il allait courir, qu'importe ce que cela allait impliquer pour la suite, sa décision était déjà prise. Mais pour l'heure...

Michael Logan rejoignit la place ou était parké l'hélico'.

[Fin]